De l'arbre à l'art

du 8 au 10 août 2003
Village de Larodde (entre le Massif du Sancy et Bort-les-Orgues)

CATHERINE NYEKI

Micros-Univers

Chorégraphies de sculptures virtuelles musicales animées et interactives

Catherine NYEKI
Marc Denjean
©2001

«Micros-Univers» est basé sur le concept de scénographie picturale interactive. L'œuvre est composée de quatre familles appelées : les CHEVELUS (formes organiques, aquati-ques), les BALANCIERS (pendules hors-temps), les MOULINS (mécaniques végéta-les), les BATTEMENTS (insectes abstraits).

Chaque famille est constituée d'une «bibliothèque» de formes, elles-mêmes composées d'animations et de variations auxquelles nous avons associé nos propres trames mélodiques inspirées de chants populaires hongrois.

Le «spectateur-acteur» peut se contenter de regarder les différents tableaux animés mais, œuvre numérique oblige, il est invité à tout moment à les déplacer, les superposer, les combiner et constituer par là-même des constellations de formes imaginaires. Toutes ces combinaisons peuvent être mémorisées et rejouées.

Ce travail de recherche propose une perception expérimentale où manipuler l'image revient, en quelque sorte, à l'animer.



UN PEU PLUS DE PITIÈ POUR LE REEL

Naturellement, le visiteur d'une exposition composée des travaux réalisés par Génia Golendorf, Hélène Rauzier, Daniel Van de Velde, Philippe Ségéral et Catherine Nyeki est en droit de s'interroger sur le lien qui les unit : s'agit-il d'un simple rapport de juxtaposition ou bien s'agit-il plutôt d'un rapport organique et d'une nécessité intérieure ?

Pour ma part, il semble évident que les œuvres se fondent moins sur une unité thématique que sur une communauté d'atmosphère. C'est dire que l'exposition, non seulement illustre bien l'hétérogénie entre le symbolique et l'esthétique, mais qu'elle prend franchement le parti de l'esthétique.

Aussi, je ne pense pas trop m'avancer en pensant qu'elle fournit bien, à l'ère de la sursocialisation, l'exemple d'une communauté sans socialisation. Bien plus, l'ambiance de l'exposition implique l'apprentissage d'un monde bien différent, où l'on ne tire pas de la Nature, mais où l'on va vers la Nature. Dans le monde de cette dernière, on ne crée pas des objets significatifs. On y crée une vie, non une propriété. C'est le cas de l'arbre par excellence.

C'est dire que d'emblée, à une époque où la réalité, notamment la réalité spéculaire, a résorbé le réel, l'arbre constitue pour l'homme une chance, en lui procurant une ouverture qui arrive à pourfendre l'enclos citadin.

Une telle manifestation s'inscrit merveilleusement dans le projet foucaldien résumé par ce mot d'ordre : un peu de pitié pour le réel. Entendons évidemment la pitié, en l'occurrence, dans son sens étymologique : consentir à pâtir. De fait, l'arbre ne se déploie pas ici comme étant un objet artistique au sens usité par la tradition : n'est artistique que ce qui est artificiel. Néanmoins, on ne peut pas dire que l'arbre tel qu'il est investi par les artistes est un arbre qui émerge de la Nature. C'est même tout le contraire du naturalisme. Tout porte à dire que l'arbre est présent sur le mode d'un semblant qui ne se subjective pas par identification au double, mais qu'il ne peut être investi que pour s'y reconnaître. Le fait est qu'ici, l'objet-arbre brouille le signe arbre, et là peut être le sens de l'enfer que suggère le travail de Génia Golendorf.

Si j'insiste sur la communauté d'option qui concourt à une communauté d'atmosphère, c'est pour déduire que l'exposition a choisi de répondre à une exigence esthétique forte laquelle transcende la loi du simplex vers celle des isomorphismes. « Exigence la plus forte, affirme Michel Serres », puisqu'[ils] conservent les opérations d'ensemble à ensemble. »

Voilà qui autorise à penser que l'interactivité, à laquelle s'affaire Catherine Nyeki, est doublée par une interactivité plus large, une intersubjectivité qui suspend les subjectivités sans les annuler. Cela, à la faveur d'un affranchissement radical de tout illusionnisme et à un consentement total à la synchronicité ; mais à une synchronicité qui cherche auprès de la Nature son paradigme. Par conséquent, la synchronicité en question s'avère organisée de telle façon que l'hétérogénie soit un rapport.

Aussi, peut-on facilement déduire que l'arbre présent dans l'exposition fait office, selon plus d'un mode, d'un dehors non extérieur et d'un dedans non intérieur.

Il y a là, on s'en doute, un certain écho de cette conception que le sculpteur Carl André a cru pouvoir caractériser en disant que « tout est présence et rien n'est métaphore ». D'ailleurs, le moindre survol de l'exposition montre que tous les artistes revisitent, chacun à sa manière, le partage établi par le régime du Même entre le propre et l'emprunté. Et s'ils le font, c'est pour favoriser une certaine attitude qui s'apparente, de près ou de loin, à un panthéisme artistique qui s'emploie à affranchir l'exigence de la figuration des difficultés qu'elle rencontre dans une situation marquée par la nouvelle forme de l'ubiquité optique.

C'est pourquoi, je perçois dans le geste « feuilleté » des artistes, le choix de résister à l'étalement aussi bien résidentiel, qu'iconique, et qui risque, à terme, de trop finir le monde, de le meubler et de le faire plein à la façon d'un oeuf. Face à un tel risque, rappelons-le, Gauguin a formulé une exigence résistante : « Nous avons le devoir de nous essayer, de nous exercer aux multiples facultés humaines. A côté de l'art très pur, il y a d'autres choses à dire, et il faut les dire. »

Pour faire court, mais sans émasculer la dimension programmatique de cette exigence, disons que l'exposition contribue admirablement à cette impérieuse nécessité d'associer le contrat social à un contrat naturel.

Mohamed Ben Hamouda
Sfax, juin 20003