Les plasticités des vivants potentiels
Les débats éthiques contradictoires sur les cellules-souches et la manipulation génétique qui envahissent nos écrans et journaux ne peuvent laisser personne indifférent. Comment une cellule-souche spécifique peut-elle restaurer une partie d'un corps par auto-renouvellement mais aussi parfois provoquer des tumeurs ou malformations suite à des « erreurs d’aiguillage » ? Quel est le programme de cette plasticité, s’il y en a un ?
Engagée dans une démarche « art et science » autour de ces thèmes « bioéthiques », j’ai installé la plasticité du vivant au cœur de mes travaux : laboratoire tactile, expériences interactives d’un microscope sensoriel, « films cellules », greffes virtuelles, « archipel de sens », zoo sémantique multilingue, « cartes partitions », créations vocales, musiques « cellulaires », mots-clés et bruitages sonores à plasticité variable, vivarium élastique, géographie moléculaire, bourgeons vidéo, plantes-animales, botaniques parallèles, bio-mimétisme…
PÂTE À MODELER
Que ce soit sur écran, dans la musique, à travers des films ou des installations, ma recherche a proliféré comme un organisme plastique en évolution grâce à des « corpus » de formes animées, filmées en vidéo, puis transformées via des processus numériques, constituant ainsi une sorte de « pâte à modeler » que je nomme « Plasticine [Bis Natura] ».
La série CELLULA est un exemple de résultat de ce processus.
Cette création repose sur un dessin original « souche » réalisé à la main qui a servi de matrice à toute une « descendance » d’œuvres filles ayant pour mot racine [cellula] comme « dessin mère » : [cellula] Arbora, [cellula] coda, [cellula] expenda, [cellula] transgena, [cellula] vira… Chaque œuvre fille évoque les cellules-souches totipotentes, interprétation plastique de mutations multiples.
MÉTAPHORE
DE VIES NAISSANTES
Sur le même processus itératif, l’installation vidéo H2-ZOO propose, autour d’une molécule d’eau, un bestiaire aquatico-organique tel un zoo primitif moléculaire à plasticité variable.
La vidéo INDY-Gene s’inspire du gène de longévité INDY (I am Not Dead Yet) sous forme d’un autoportrait « indigène » créé à partir de greffes virtuelles oculaires.
De même, MIMETIKA est une installation vidéo sonore de biologie imaginaire, aux frontières du mime, composée d’une centaine d’organismes aquatiques fictifs qui évoluent et se transforment dans une boîte de pétri géante.
Une métaphore de vies naissantes peut ainsi être élaborée et questionnée. Comment de simples éléments filmés peuvent-ils, sans aucune prothèse technologique, être force d’une « vie » apparente ? Comment un alphabet gestuel permet-il de générer par manipulations d’éléments corporels mimés une population aux natures aquatiques plus excentriques les unes que les autres ? Comment, en cultivant un jardin de plasticité, un vivier imaginaire à partir de simples prélèvements vidéo d’échantillons du réel, de transformations, de combinaisons, de découpages, de clonages et d’assemblages, de nouvelles formes suggérant le vivant peuvent-elles émerger ?
La mise en scène des manipulations du « mime du vivant » engendre une relation particulière avec le public, déclenchant souvent un pouvoir d’attirance, de fascination ou de répulsion, mais aussi un questionnement sur la diversité du vivant grâce à l’émergence souvent inattendue de nouveaux « êtres visibles et audibles ».
Catherine Nyeki