Le Sm'art

Laborantines Tubulines

du 3 au 6 juin 2011 (La Baume Aix-en-Provence)










Tout ce que vous voudriez savoir sur le vivant sans oser le demander

L’art, la science, la nature, la technique : la majorité (des artistes ou non) les considère comme quatre champs isolés voir hostiles. Or voilà bien l’erreur. Pour les arts eux mêmes et leurs genres il en va de même. Catherine Nyeki s’inscrit en faux contre ces ostracismes et ces clivages. Pour elle il n’est pas jusqu’aux mots à devenir espace ou pour reprendre en à peu près un des ses titres « Plastik-Art ». Partant de la cellule mère, y revenant toujours sous diverses rotondités et circularité l’artiste allie le réel au virtuel en une suite de dégradés ou déclinaisons plastiques et sonores à la surprenante vitalité. Cartographies, partitions, combinatoires se conjuguent au sein d’un art cellulaire. Les chromosomes peuvent y apparaître sous forme de totems comme au Musée des Sciences de La villette à Paris.

Parfois l’image et le son électroniques doublent l’image plastique plus commune. Cela devient une sorte de centrale, de laboratoire où  l’être est transposé pour retourner à une forme de bestialité qui n’a rien cependant de suspecte ou de malsaine. Mettant son intuition, son flair au service de son savoir l’artiste pressent bien des choses. Par ses techniques elle multiplie, élargit les énergies premières disponibles et rend réalisable ce qui paraissait utopique. Jouant sur des systèmes de tensions premières (division cellulaire par exemple d’une mère en deux ou d’une fille en deux) elle joint peinture, musique, danse, sculpture, collage numérique, dessin, architecture et poésie afin d’inventer des suites d’additions rythmiques.

Dans l’œuvre de Catherine Nyeki la forme embellit parce qu’elle exprime de plus en plus l’idée initiale de force active. Elle surgissait déjà dans la duplication de la cellule vivante mise en scène et en son. Par ce  second vecteur l’artiste induisait l’idée qu’un bruit (imperceptible à l’humain ) se produit lors de la séparation de deux cellules. Quant à « Plasika » créée à la cité des Sciences autour du thème de la prolifération cellulaire,  l’installation pluri médias signifie (non sans humour)  la plasticité infinie du vivant. Toutes ces constructions sont donc des transpositions de la vie. Elles donnent à l’art de Catherine Nyeki sa juste puissance et toute son originalité. Elles reprennent de manière accélérées l’évolution lente du vivant. Elles l’élargissent aussi en lui accordant un équivalent poétique. Celui-ci permet de découvrir un nouvel univers. Il élargit la perception.

Jean-Paul Gavard-Perret
6 juin 2011


L'œuvre « sporadique » de Catherine Nyeki

Si on n'est pas prêt à courir le risque de ne pas sentir passer sous le vent du souffle expressif, non pas le monde mais la nature jusque dans ses infimes représentations, si  on ne veut pas tenter cette chance de respirer un peu dans l'instant exact d’une œuvre qui les remet en cause au sein d’un espace  un peu plus libre, un peu moins a priori dessiné et colorié alors mieux vaut ne pas se prétendre artiste. Catherine  Nyeki l’a compris. C’est pourquoi son art végétal en ses multiples développements est passionnant. Faisant surgir des cellules végétales jusqu’à un hors sens musical – qui n’est pas sans rappeler Ligeti – l’artiste à la fois malaxe, engorge et  dégorge  la fluidité du vivant pour en pénétrer la lecture et le sens. La question de l’art porte avec l’artiste  sur l'engagement du corps végétal qui devient le sujet de l’œuvre et sous de multiples aspects : de l’herbier à l’installation. Elle pulvérise, fragmente ou rassemblent les éléments éparts disjoint pour divers types de nomenclatures et d’assemblages. Elle crée ainsi un souffle visuel (et sonore) autour du presque rien. L’art devient le moyen de récréer un langage de l'intranquillité  à travers lequel la nature se réanime hors des simples propositions écologiques.

Catherine Nyeki engage une course de vitesse contre la fermeture stabilisée des significations et de la nature. Celle-ci n’est plus le prétexte à des chromes mais à une étude et une divagation de l’imaginaire. Elle lutte contre l'évincement radical des représentations que serait l'adhésion de la forme à elle-même et à sa musicalité imbécile qui viendrait ronronner à la place du défi contradictoire des figures et des affects que l’artiste propose. Elle  formalise divers types de scansion. Son souffle créatif devient un produit anti-coagulant. C'est pourquoi l'artiste refuse sans doute le mot « d'inspiration ». Plus qu’artiste inspirée elle devient la femme qui expire, qui respire, qui souffle  dans une résistance à la coagulation de la forme et du sen en une suite de glissements. Catherine Nyeki crée des ondes, des mouvements « syllabiques » corpusculaires. Ses œuvres ne font pas forcément un corps anatomique voire scénique, même si ce travail est une façon démonstrative d' exposer les enjeux. Sa poésie visuelle – jusque dans les explications de ses « notes » - est donc bien de la musique avant toute chose mais certainement pas celle de Verlaine qui n'est que musicalité et rythmique, mimesis et expressivité. La musique de la créatrice  est désaccordée,  déformée pour atteindre l’informe et la forme du monde.

Cette activité suppose peut-être quelque chose de l'expérience mélancolique et une vive sensation de l'incapacité des langues plastiques apprises et des formes répertoriées à symboliser  l'expérience que l’artiste fait des choses et de la vie. Elle atteint un  fond plus ou moins spongieux ouvert à perte pied sur  l'atomisation de la matière. Son travail  doit non seulement composer avec cela mais faire parler ce fond. Voilà ce sur quoi s'appuie la « morale » de cette recherche. Une morale pas vraiment hédoniste : plutôt une ligne de vie tendue par l'exigence d'un gai savoir lucide qui fait  tomber au fur et à mesure bien des illusions épistémologiques (entre autres). S’excluant du cercle des artistes qui pondent des oeuvres comme le pommier pond ses pommes, Catherine Nyeki  cherche à travers ses explorations une sagesse vitale. Pour résister à l'euphorie du liant unanime qui colore bien souvent l‘art elle offre des propositions aussi simples que fabuleuses à travers les spores et autres éléments premiers. Face aux artifices rhétoriques elle en crée d'autres décalés et opposés aux rituels constitutifs de l’art admis. Il s'agit de créer ou de faire danser des  éléments corpusculaires ou plus denses, hautains, élégants et grossiers, rigides et mouvants, qui relèvent à la fois du monde et qui disent quelque chose du dehors et du dedans mais qui ne s'identifient entièrement ni au monde, ni à soi, ni à une plénitude simplement formalisée. Ils produisent de l'autre, du non assigné, de l'inventé, du venu en biais, du bondi. L’œuvre invente  d'assez énigmatiques objets de jouissance. On en tire un plaisir (la sensation de la beauté - dont la densité de la forme est la condition) et un vertige un peu effrayant.

L’artiste s'engage à la réinterprétation de l’héritage naturel tout en cherchant à contrarier les réductions formalistes. Par ce biais elle repense les conditions de production et de définition de l’œuvre d’art au moins depuis la Renaissance, c’est-à-dire depuis l’époque où l’on a inventé simultanément la perspective illusionniste, la toile tendue sur châssis et la mercantilisation des productions artistiques. Il s’agit aussi de mettre en phase les propositions « scientifiques » modernes avec la connaissance que l’expérience artistique construit sur ses propres pratiques. Tout cela est d’une ambition démesurée. Mais c’est le lot des périodes de crise « avant-gardiste » : il s’agit, carrément, de tout repenser. De cette base  finissent  par décoller quelques « fusées » (Baudelaire) de formes fraîches et de pensées rajeunies. Ce travail reste la manifestation d'une résistance qui fouille dans l'ordre de l’apparent  désordre  de la mature et  dans le dos des ordres (du moins qu’on considère comme tels)  socialisé. Catherine Nyeki n'a donc cesse de chercher la fraîcheur et la liberté du délié, du désaccordé ouvert à la jouissance - même s'il existe un peu d'effroi devant la puissance de perte que cela suppose. Seule la possibilité de ce délié, de ce désaccord fait vivre l’art dans son aspect pluridimensionnel. Il faut courir le risque de ne plus tenir et de sentir passer sous le souffle expressif, non pas le monde mais les représentations que nous nous en faisons, qui nous lient à lui et nous lient entre nous. Si on ne veut pas tenter cette chance de respirer un peu il faut renoncer à créer, il faut renoncer à voir – et à entendre.

Jean-Paul Gavard-Perret
6 juin 2011