Storyboard

du 29 janvier au 30 juin 2003
Scam (Paris)




Story Board, l'écriture du projet numérique à la Scam, nous sommes dans la pure création numérique

La SCAM (Société des Compositeurs et auteurs multimédia) via sa commission des Nouvelles Technologies a confié à Stephane Trois Carrés , plasticien et fondateur du groupe Ripoulin avec Pierre Huighe et Claude Closky et à Sophie Nagiscarde , commissaire d'exposition (musée de la poste, expo Warhol à la Fondation Cartier...) l'exposition «Story-Board» qui a travers dix projets finalisés de création technologique recensent autant d'attitudes d'écritures préalables.

Ces attitudes, que le nouveau Larousse tente de franciser sous le terme « scénarimage » déclinent toutes les possibilités et combinaisons à partir de productions analogiques, dessins, peintures, photocollages, jusqu'à la pure application logicielle se résumant chez Cécile Babiole a une simple liste d'instructions. Ce choix montre aussi la diversité des statuts et professions initiales des créateurs convergeant aujourd'hui vers les nouvelles technologies. De Victoria Poynder peintre qui utilise le collage avant de l'abstraire en réponse à une commande de Renault pour une de ses nouvelles voitures, à Francois Schuitten auteur de bandes dessinées qui réalise un fil numérique avec «Taxandria», en passant par Ghuilhem Pratz auteur d'habillages télé qui présente ici son générique visuel pour Explore, la case documentaire de France 3. Cette simple liste montre aussi à l'autre bout de la chaîne la diversité encore plus grande des productions. Les sources premières peuvent être sonores et récriture se contente alors de générer des suites logiques de time code son en lien avec leur illustration chez Lolo Zazar. Avec Lyonel Kouro nous sommes dans la pure création numérique pour la production de «formes aléatoires en légère lévitation» Avec Alain Escalle le carnet de croquis se fait livre d'artiste à la rencontre de la société japonaise pour la préparation du «Conte du monde flottant». Avec Michel Jaffrenou le projet se condense d'abord en une réalisation plastique de grande dimension qui trouve ensuite des traductions circonstanciées à travers des multitudes de fichiers Excel qui normalisent la circulation des informations ; la réalisation finale en est ce «Dragon aux 10000 icones» L'une des productions les plus fascinantes reste certainement le fichier à caractère scientifique de Catherine Nyeki dont la rigueur taxinomique et plastique autorise le caractère flamboyant de son cdrom MU Herbier.

Modestement mais avec une grande connaissance du terrain et de ses créateurs cette exposition révèle les nombreux liens imaginaires qui existent aujourd'hui entre les nouvelles technologies et leurs sources artistiques plus traditionnelles. En dehors de cet aspect pédagogique essentiel, elle a aussi le mérite de nous mettre en contact avec des artistes contemporains qui grâce à leurs pratiques novatrices d'historisation temporelle trouvent leur champ d'activité à coté des voies habituelles de l'art.

Christian Gattinoni
Paris, mai 2003




CINÉMA PAR PHILIPPE AZOURY

Story-board LES DESSINS-TOILE

Avant de s'animer, les films se dessinent. Plan après plan, une histoire se projette vers le cinéma. Véritables chefs-d'œuvre, comme ces dessins qui propulsèrent Georges Méliès dans son «Voyage sur la lune», les story-boards changent aujourd'hui d'allure grâce aux outils multimédia. Gros plans sur une expression numérique méconnue.

Extrait de l'article :

...De la germanique UFA aux grands studios hollywoodiens nés au mitan des années 1920, c'est autant une conception industrielle du cinéma qui se dessinera avec la généralisation du recours au story-board : que deux des cinéastes les plus obsédés par la maîtrise, Fritz Lang et Alfred Hitchcock, ne puissent penser leur mise en scène sans en passer par un découpage crayonné (et on ne saurait que trop conseiller de rouvrir le magnifique livre que Bernard Eisenschitz avait consacré en 1992 au Man Hunt de Fritz Lang, aux éditions Yellow Now, publiant les 140 dessins préparatoires de l'architecte décorateur Wiard B. Ihnen) aura fini de psychanalyser une pratique où, pour caricaturer, le hasard et le réel ne doivent plus entrer en jeu. Les vingt dernières années n'ont guère fait évoluer le débat même si, géographiquement, la France semblait découvrir avec les années 1980 une nouvelle génération de cinéastes en rupture avec l'héritage post-nouvelle vague, venant parfois eux-mêmes de la BD (Caro), de la pub (Jeunet) ou d'une culture de tradition anti-auteuriste (Besson, Beineix, Gans), pour qui l'usage du story-board allait de soi, s'imposait instinctivement à l'intérieur du processus créatif. Avec ou sans Marc Caro, les films de Jean-Pierre Jeunet (du Bunker de la dernière rafale à Amélie Poulain en passant par Delicatessen) auront stigmatisé le profil d'un univers cinématographique capable de tenir dans une boîte, qu'elle soit à crayon ou à idées.

Or, l'ombre embrumant l'outil story-board serait en train de laisser place à quelques lumières. Preuve que son usage est moins relié à des cinémas que seule la caricature maintient encore en opposition (et c'est la place qu'occupe aujourd'hui un Olivier Assayas, à la croisée des chemins, à la fois auteur post-Bazinien et maintenant son cinéma dans une industrie du futur, travaillant les story-boards de Demonlover avec Ève Ramboz), preuve aussi que le story-board, dans sa conception, a entièrement changé, s'est affranchi de quelques-uns de ses complexes : une revue, Sto-ryboard s'est montée (trois numéros déjà) ainsi que deux expositions en six mois, l'une à la Scam), l'autre à la Bifi, au printemps 2004. Rappelons qu'il n'y avait rien eu sur la question depuis l'exposition «le Cinéma dessiné» que Thierry Groensteen avait présentée au printemps 1992 au Palais de Tokyo. Que disent les storyboardeurs aujourd'hui : alors que chacun l'avait ramené à une dimension technique très réductrice, le story-board, tel qu'il a su s'emparer des nouvelles technologies, des nouveaux supports informatiques, des outils, plutôt que de s'en sentir prisonnier, s'est libéré de l'aspect bande dessinée classique qui l'encombrait. De même que la BD, au tournant des années 1980, explosait en même temps qu'elle se démarquait des cases, le story-board mutant s'embarrasse de moins en moins du cadre. Conscient de sa position théorique bâtarde (ni BD, ni cinéma, déjà de la BD, déjà du cinéma), il n'entend plus être ce terrain préparatoire ingrat, subordonné au récit, à son déroulé, contraint à vendre une histoire à des gens pressés ou analphabètes (c'est la vieille anecdote d'un des caciques des studios hollywoodiens, self-made man que la lecture barbait, et imposant de fait des story-boards en guise de scénarios). Ces dix années silencieuses se sont offertes des embardées décisives. De la même manière qu'une bande dessinée s'est développée à côté de la BD, un story-board s'est développé à côté du scénario, côte à côte du cinéma, des techniques, des outils. Exposer un story-board aujourd'hui, comme c'est le cas à la Scam, ce n'est pas accrocher des planches à la gauche d'un écran, où notre regard zigzaguerait du cinéma dessiné à sa réalisation filmée, ce n'est plus concevoir le travail du storyboardeur dans son rapport à l'efficacité, à la maîtrise, ce n'est plus sa valeur préventive (ou au mieux prophétique), il n'est plus question pour le storyboardeur d'avoir sur le film une image d'avance, mais de proposer des couleurs, des trames, des tessitures, des horizons, une matière d'images dont le cinéaste pourra nourrir son projet. D'une certaine manière, l'état des lieux dont fait cas l'exposition de la Scam déshabille le produit fini en laissant entrevoir un nouveau rapport graphique et amoureux entre le storyboardeur, le réalisateur et son projet. Le manque d'interaction dont se plaignait François Schuiten il y a vingt ans à propos de l'adaptation par Just Jaeckin de Gwendoline (il souffrait de n'avoir pu proposer un découpage, de s'être tenu à des décors et costumes) ne semble plus à l'ordre des pratiques du jour. L'idéal de l'avant-garde des storyboardeurs, pour aller vite, serait d'arriver à travailler sur un projet en faisant tenir tout un univers de propositions visuelles en une seule et immense image: une toile bariolée de 4 x 2,5 m de Michel Jaffrennou (le Dragon aux dix mille icônes, 2002), les planches ouvrant sur des liens à explorer de Guillem Pratz (le générique du magazine Explore, le carnet à l'encre de Chine destiné au cédérom Mu Herbier de Catherine Nyeki...) semblent travailler dans ce sens. On voit bien ce qui a émancipé le story-board du seul découpage : l'introduction, ces dernières années, des notions d'habillage télévisuel, les structures narratives des cédéroms fonctionnant par tableaux reliés, par construction d'images solitaires. Les recensements d'objet, d'êtres, de couleurs (ainsi les listes de Lolo Zazar, qui ne vont pas sans rappeler les expérimentations oulipiennes d'un Georges Perec) sont aujourd'hui des éléments courants des propositions amenées par les storyboardeurs. Leur objet a des airs de grand herbier des mondes à inventer: une mappemonde sur lequel le film, le cédérom, le DVD-Rom, le clip, pourront tour à tour s'abreuver, faire voyager. Les storyboardeurs y retrouvent d'une certaine manière leurs racines : Méliès mis à part, le métier est né, à Berlin comme à Hollywood, d'architectes décorateurs, et c'est aujourd'hui une architecture libre et utopiste qui tient verticalement le film. Et parfois, l'image elle-même, en s'invitant dans le plan comme surface, fonds d'image, décors virtuels : ainsi les villes dessinées par François Schuiten devenues décors du Taxandria de Raoul Servais, retrouvant le lien en utopie du Metropolis de Fritz Lang. Ou celles d'Alain Escalle, travaillant finalement a contrario de Schuiten : son Conte du monde flottant ne vise pas à donner l'illusion d'une ville, d'un monde, d'un ordre de papier, il travaille justement sur l'immatérialité de son image. En concevant, à partir des carnets de voyages qu'il tenait lors de ses déplacements au Japon, un monde de gouache, un monde flottant, qu'il transposera en numérique, offert au cinéma des nouvelles technologies, son premier chef-d'œuvre. Libéré du réalisme, son film se déroule, papyrus de signes, et, par glissement d'images oniriques, ses tableaux atteignent cette évanescence qui le rapproche de certaines séquences des Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi. Escalle peut bien incruster des corps humains à l'intérieur de ses plans, son rapport au réel n'est pas ancré, il ne relève pas de l'utopie futuriste comme pour Schuiten : car, à ce point de renversement, il est difficile de ne pas voir là des fantômes happés par le siphon de ses images. Le Conte du monde flottant donnait, en émergeant il y a deux ans, l'impression généralisée d'une première fois. Ou comment, enfin, un film immédiatement issu d'un story-board, ne se pliant plus à la notion de continuité découpée, inventait des enchaînements et, autour, un monde avec ses régions, son vent, sa flore, son temps d'apparition et de disparition. Quelque chose d'un rapport inversé, renversant.

Philippe Azoury


story-board

Scam

39 janvier - 30 juin 2003

Aujourd'hui plus que jamais, images et métaphores dues a l'ordinateur et aux logiciels fixent une nouvelle esthétique qui intègre les conditions de production dans l'œuvre. Conçue à l'initiative de Michel Jaffrennou et sous l'égide de la Scam (Société civile des auteurs multimédia, 5 avenue Velasquez, 75008 Paris), cette exposition de onze artistes propose autant d'éléments appartenant au processus de création (croquis, story-board) que de réalisations.

Ève Ramboz, auteur d'effets visuels numériques pour Prospero's book et les Morts de la Seine de Peter Greenaway, de films d'animation (l'Escamoteur) et d'installations, œuvre à l'aide du Flame (1) sur la formation/déformation et la figuration/défiguration. Son interrogation ne porte plus uniquement sur l'image obtenue, mais aussi et surtout sur la nature du processus de recherche : le story-board de Primitive — dont l'animation pour «arracher la Figure au figuratif» (Deleuze) est un flot confus et discordant qui évoque deux êtres amoureux — décrit un carroyage/ quadrillage tracé à la main. Lacis de signes et de taches comme autant de diagrammes carrés où les couleurs sont là comme notations rythmiques. Cécile Babiole, avec le logiciel Max SP, qui programme des interfaces Midi, opère des manipulations en temps réel sur l'image et le son, et crée des environnements interactifs (Circulez y'a rien à voir). Ceci, sans protocole particulier, si ce n'est un descriptif très logico-mathématique.

Le Conte du monde flottant (Alain Escalle, 2001) précipite dans une vision apocalyptique inspirée par la tragédie de Hiroshima et bâtit, par superpositions et incrustations d'images de synthèse, un monde à mi-chemin entre cinéma d'animation, manga et rappels de films japonais. Le réalisateur élabore son projet à l'aide d'un carnet de voyage qui recueille photos, articles de presse, intentions scéniques valant repérages, avant de créer seul ensuite avec sa machine. Jaffrennou, auteur-réalisateur de spectacles vidéo, de programmes de création télévisuels, de CD-Rom, de sites Internet et de spectacles interactifs, s'interroge à la fois sur l'ordinateur comme dispositif de vision et d'action et sur les comportements du spectateur, avec un programme interactif évolutif, le Dragon aux dix-mille icônes. Une immense toile colorée, «flux énergétique et métaphorique», de 4 x 2,5 m, tient lieu de story-board. Jaffrennou s'exerce en fait sur des pages de cahiers couvertes de croquis et de peintures, avant d'agencer les animations.

Catherine Nyéki, artiste multi-média (ayant exposé à la galerie Donguy, au Cube, à l'Espace Landowski, au CICV), auteur d'un CD-Rom (Micros Univers, 1998) et de sites web, réprouve l'idée que l'exercice de la vue nous coupe du monde plutôt que de nous permettre une action sur lui. Elle étudie d'abord les possibilités de réalisation sur des cahiers où sont consignés indications (alphabet de formes et dictionnaire d'actions) et codes de représentation définis (micro-narrations). Puis, par images de synthèse, elle conçoit ses scénographies picturales interactives, plaçant le spectateur au cœur du questionnement sur les rapports entre voir et pouvoir. MU Herbier restitue, en réalité virtuelle, et selon l'expression de l'artiste, un «microscope sensoriel» où l'on découvre un imaginaire mi-végétal, mi- animal. Les touches du clavier permettent d'agir sur l'œuvre qui se présente d'abord comme un réseau de pictogrammes, et rendent ainsi possible l'émancipation des capacités imaginatives du spectateur qui devient metteur en scène d'un tableau animé, ce tableau se transformant lui-même en sculpture sensitive.

Quant à la précision des dessins (crayon ou aquarelle) de François Schuiten, créateur avec Benoît Peeters du cycle BD des Cités obscures, et avec Maurice Benayoun des Quarx (série en images de synthèse diffusée sur Canal +), ils ne décrivent, eux, que d'une manière classique l'implantation des décors et des personnages de Taxandria, film de Raoul Servais, avec des réminiscences du Cabinet du Docteur Caligari.

Autre mode, la pixilation (filmage image par image) de Lolo Zazar, comédien, auteur, réalisateur. Pour le film A Donf ! (2000), le story-board, quasi-cahier des charges de la table de montage, allie découpage, listes de sons, minutages d'actions et intentions de mise en scène. Exigence rigoureuse afin de ne procéder à aucun montage a posteriori.

Néanmoins, dans Story-board, une hégémonie techniciste l'emporte parfois sur l'imaginaire. De surcroît, cette technicité ne dégage pas toujours les œuvres de l'espace perspectiviste. À ces images, déjà bien explorées jadis (dessins animés, cinéma expérimental, pub), les nouvelles technologies, par facilité de création, d'animation et de réalisme, ne confèrent trop souvent qu'un nouveau masque.

Louis-José Lestocart

(1) Le Flame est une «machine» qui permet l'intégration parfaite d'objets 3D dans des séquences film ou vidéo.