Les nuits savoureuses

Premier festival d'arts multimedia urbains

du 17 au 26 décembre 1999
CICV Pierre-Schaeffer (Belfort)




SCÉNOGRAPHIE VIRTUELLE OU L’ESPACE DES POSSIBLES PORTRAIT DE CATHERINE NYEKI, ARTISTE MU.

Du théâtre au virtuel il n’y qu’un pas. Catherine Nyeki, scénographe et artiste multimédia l’a franchi sans aucune difficulté. Motivée par la création de spectacles vivants sur ordinateur, elle présente aujourd’hui Micros univers, une scénographie picturale interactive. Rencontre.

« J’ai eu la chance de découvrir très tôt l’outil informatique et j’ai tout de suite flashé sur les possibilités créatives et interactives de l’ordinateur ». Avant d’être une artiste multimédia, Catherine Nyeki a longtemps travaillé sur des décors de théâtre. Mais la réalité d’une scène a ses limites, trop contraignantes pour celle dont la démarche est profondément motivée par l’envie de faire réagir le public. Sa frustration, Catherine l’a dépassée grâce à la machine qu’elle côtoie depuis 12 ans. Partant, elle a connu la plupart des logiciels d’infographie, de graphisme et d’animation qu’elle maîtrise aujourd’hui parfaitement sur Mac. « Ce qui me passionne, c’est l’interactivité ». Evidemment. Pour autant, pas question pour l’artiste de délaisser la scénographie. Bien au contraire : « J’expérimente avec la micro cette notion de regard tactile. C’est le point de vue du spectateur/acteur qui m’intéresse, comme au théâtre finalement où, à l’inverse du cinéma, l’interaction entre le public et la scène est envisageable ».

Avec Micro univers, sa dernière création sur CD-Rom, Catherine Nyeki s’exécute et tente d’aménager un espace scénique dans le virtuel. Résultat : une œuvre atypique composée de sculptures virtuelles animées et sonores -en fait, sa voix retravaillée à l’aide de logiciels audionumériques. Une expérience de chorégraphie onirique et hypnotique axée sur la décomposition/recomposition. « L’inter-acteur circule, se déplace, manipule des objets, les met en scène, les combine ». A partir d’une interface claire et intuitive, l’utilisateur découvre quatre familles d’objets. Chacune des thématiques est déclinée en quatre scènes où l’on assiste à la démultiplication des corps. L’artiste propose la symétrie mais l’utilisateur est chargé de corriger le tir selon son bon vouloir. Selon sa personnalité : « Tous, de 7 à 77 ans, jouent le jeu. Mais je constate différentes attitudes dans le public : certains ne peuvent pas s’empêcher de mettre de l’ordre, de ranger correctement les objets dans un coin de l’écran quand d’autres privilégient le désordre, le chaos absolu. Passionnant ».

Le mouvement sensuel des « chevelus » évoque l’eau, mais ils pourraient tout aussi bien se mouvoir au gré du vent ; La famille des « balanciers » suggère le jeu et « par extension l’enfance » affirme Catherine ; Les « moulins » symbolisent la rotation ; quant aux « battements », ils représentent la vie. Le mouvement, la vie, le jeu, chacune des évocations peut finalement s’appliquer à toutes les familles. Autres références : le monde microscopique et l’infini qui fascinent qui la fascinent. « En composant et en recomposant les formes, on peut faire des variations à partir d’une forme relativement simple et faire naître la complexité ».
 Reste la matière que Catherine peut enfin moduler sans aucune limitation. Certains objets ont volontairement l’aspect du métal. « Cette matière froide et morte prend vie dans mon œuvre ». Un métal souple et fluide mélangé à des parties végétales. Avec les voix de l’artiste, elles aussi en perpétuelles variations, tant dans les gammes que dans les rythmiques, les formes deviennent organiques. Dans le virtuel, cet espace de tous les possibles, Catherine Nyeki ne considère finalement pas s’être éloignée du spectacle vivant…

L’artiste présentait Micro univers sur une dizaine d’écrans en octobre à l’Espace Landowski de Boulogne-Billancourt, « La démultiplication démultipliée en quelque sorte, fascinant ». L’œuvre était sélectionnée en 1998 au Prix Möbius de l’IRCAM. Cette année, Catherine a obtenu un FAUST d’or dans la catégorie « Art et Culture » et a réussi à négocier un contrat d’édition et de distribution avec une société japonaise lors du dernier Milia. « C’était aussi l’objectif puisque que j’ai fait en sorte que Micros univers soit complètement adapté et optimisé pour une présentation sur CD-Rom, Mac ou PC ».
 En décembre, elle participera aux « Nuits savoureuses » du CICV Pierre Schaeffer de Belfort, le festival international d’arts multimédia urbains. Son œuvre sera projetée en plein air sur grand écran.


VARIATIONS ARTISTIQUES SUR CD-ROM

Catherine Nyeki mêle chants et infographies sur CD-Rom. Son Oeuvre, intitulée «Micros Univers», invite le spectateur à manipuler et à mettre en scène d'étranges créatures.

Catherine Nyeki est une artiste assez inclassable. Il faut dire que son travail repose sur le concept peu banal de «scénographie picturale interactive». En clair, elle mêle infographies, chants et chorégraphies sur CD-Rom. Ce patchwork de disciplines pourrait paraître difficile à ingurgiter par Monsieur Tout-le-monde. C'est pourtant lui que Catherine invite en priorité à pénétrer dans ses Micros Univers. Ce CD-Rom a fait l'objet de plusieurs expositions et, à chaque fois, il n'a pas laissé le public indifférent.

Pour parvenir à hypnotiser et emprisonner le spectateur dans cette étrange galerie virtuelle, l'artiste applique une recette toute simple : l'interactivité. Elle invite le visiteur à s'approprier ses créations en lui proposant de manipuler d'étranges créatures de synthèse, bercées par des mélodies envoûtantes. Pour réaliser Micros Univers, Catherine s'est inspirée du monde de l'infiniment petit, qui la fascine. Les sculptures numériques qui peuplent cet univers virtuel sont le fruit de son imagination, même si certaines formes sont empruntées aux mondes minéral et végétal. La variété et la pureté des sons qui se superposent aux images sont aussi le résultat d'un travail de recherche : Catherine a enregistré des lignes mélodiques inspirées des chants populaires de Hongrie, son pays d'origine. Elle a ensuite retravaillé sa voix à l'aide de logiciels audionumériques.

Le spectateur devient créateur :
Pour entrer dans cette galerie d'art virtuelle, le spectateur n'a d'autre solution que de s'emparer d'une souris infrarouge, placée devant un mur d'écrans. Difficile de ne pas se laisser prendre au piège. «Souvent, les gens n'ont jamais touché un micro auparavant. Ce n'est pas important, ils n'ont pas besoin de cela pour se prendre au jeu». Sans autre soutien que son intuition, le spectateur se fraie, à coups de clics de souris, un chemin à travers ces Micros Univers. L'interface du CD-Rom lui permet de s'immerger en douceur et sans difficulté dans un tel monde : il peut se contenter de contempler chaque sculpture ou choisir de la démultiplier pour la combiner, la manipuler... Il devient ainsi créateur d'un étrange ballet, d'une constellation de formes imaginaires qui se superposent et s'enchevêtrent selon sa volonté. «Le spectateur crée une scène virtuelle, sur laquelle il fait danser ou voler les sculptures. Le chorégraphe, c'est lui», explique Catherine Nyeki. La sensualité qui s'en dégage réussit le plus souvent à lui faire oublier que ces Micros Univers ne sont, après tout, qu'un cocktail de créatures de synthèse et, surtout, qu'il se trouve devant un écran d'ordinateur. «Depuis à peu près deux ans, la micro-informatique intéresse davantage les créateurs», estime Catherine Nyeki. «Avant, on ne pouvait qu'être frustré par le manque de puissance des machines». Pour pouvoir travailler correctement, l'artiste n'avait donc d'autre solution que d'acquérir une coûteuse et encombrante station de travail graphique. Désormais, un Macintosh pourvu d'un processeur G3 suffit pour mener à bien son projet. Mais l'art numérique ne se résume pas pour Catherine à une simple question de performance matérielle.

Faire sortir l'art des musées :
L'infographiste et professeur à l'Ecole normale supérieure, qui fut aussi décoratrice à la Comédie-Française, estime aussi que «le micro-ordinateur donne infiniment plus de souplesse à la création». D'ailleurs, ce n'est pas tant la conception de l'oeuvre elle-même que sa perception par le public qui la fascine. Son oeuvre n'est plus un tableau figé mais «une toile vivante, un espace de découverte qui se compose et se recompose au gré des spectateurs», s'enthousiasme-t-elle. Cela fait partie des messages que le professeur Nyeki tente de faire passer à ses élèves. Son cours propose notamment d'analyser comment l'essor des techniques de réalité virtuelle «permet d'explorer de nouvelles façons de voir et de savoir». Tout un programme pour cette artiste qui mène, à sa façon, un combat pour tenter de «faire sortir l'art des musées». Elle y contribuera encore une fois, entre le 17 et le 21 décembre prochain, lors des Nuits savoureuses de Belfort. A l'occasion de ce festival d'art multimédia urbain, ses Micros Univers seront projetés dans la rue sur grand écran. Une reconnaissance supplémentaire pour son CD-Rom, déjà récompensé par le prix Möbius et le Faust d'Or, qui semble intéresser des éditeurs japonais. En France, il n'a toujours pas trouvé preneur.